"Et ça CONTINUE DANS LE MONDE"
1/Amiante : Ottawa renforce ses normes d'exposition, mais pas Québec
2/Le Brésil n'exporte pas que des footballeurs. . . .
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1/ Québec maintient ses normes d'exposition à l'amiante moins strictes que presque partout ailleurs au Canada.
Contrairement à Ottawa qui a renforcé ses normes en juillet, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST, ex-CSST) n'a pas l'intention d'abaisser la limite d'exposition pour la ramener le plus près possible de zéro, tant et aussi longtemps qu'elle n'aura pas terminé une consultation publique entreprise en février dernier. (Un texte de Julie Dufresne d’Enquête)
« Le changement réglementaire effectué par le gouvernement fédéral vise exclusivement les entreprises de compétence fédérale situées au Québec et dans les autres provinces et n'affecte pas la Loi sur la santé et la sécurité du travail », a indiqué la CNESST dans un courriel.
Des modifications à la norme québécoise, au même niveau depuis 1990, ne sont pas prévues « à court ou à moyen terme » non plus, a plus tard confirmé à Radio-Canada la directrice des communications de la Commission, Geneviève Trudel.
Le gouvernement Trudeau a annoncé discrètement cet été qu’il abaissait la norme maximale d’exposition à l’amiante afin d’être cohérent avec la majorité des pays occidentaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que l’amiante, s’il est respiré, est potentiellement cancérigène et mortel. Ottawa a décidé de modifier le Code canadien du travail pour protéger les travailleurs.
En termes clairs, dès que des travaux de rénovation doivent être exécutés et qu’il y a un risque, aussi minime soit-il, que des fibres d’amiante soient rejetées dans l’air et respirées par les employés, leur employeur devra prendre des mesures pour les protéger.
Il devra notamment nommer une personne qualifiée pour effectuer des tests. Cette personne, comme ceux qui exécuteront les travaux, devra d’emblée revêtir un équipement de protection jusqu’à ce que les tests révèlent un niveau égal ou inférieur à 0,1 fibre par centimètre cube (f/cm3). C’est 10 fois moins que la norme actuelle au Québec, établie à 1 f/cm3.
Toutes les provinces, sauf le Québec et l’Île-du-Prince-Édouard, ont déjà un seuil d’exposition de 0,1 fibre/cm3.
Respecter le consensus scientifique
« Le gouvernement du Canada a permis un seuil plus élevé pour les fibres de chrysotile aéroportées […] étant donné qu'elle [sic] a été extraite au Canada pendant plus de 100 ans, indique le communiqué d'Ottawa publié en juillet. Par conséquent, la limite d'exposition en milieu de travail […] était trop élevée par rapport aux niveaux recommandés par consensus scientifique pour protéger la santé et la sécurité des employés à risque ».
Le communiqué, publié sans tambour ni trompette par le cabinet de la ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail, Patty Hajdu, marque un virage historique dans la réglementation canadienne. Jusqu’à l’an dernier, le Canada, comme le Québec, longtemps l’un des plus grands pays exportateurs d’amiante, a été un ardent défenseur de l’utilisation « sécuritaire » de l’amiante. Les nouvelles règles entraîneront un coût estimé à 1,4 million de dollars sur 10 ans, des coûts qui seront assumés par les employeurs – donc les différents ministères et organismes fédéraux.
La nouvelle réglementation a ses limites : elle s’appliquera d’un océan à l’autre, mais seulement dans les édifices qui relèvent du fédéral.
« Nous respectons la juridiction des provinces et territoires. Nous continuerons de travailler en collaboration avec eux, les collectivités, l'industrie, les scientifiques et les professionnels de la santé en vue de changer les codes nationaux, provinciaux et territoriaux du bâtiment de manière à interdire l'utilisation de l'amiante dans les projets de construction et de rénovation partout au Canada », a indiqué Matt Pascuzzo, l’attaché de presse de la ministre, lorsque nous lui avons demandé pourquoi avoir limité la réglementation aux édifices fédéraux.
« Scandaleux »
« C’est scandaleux! », a lancé Yv Bonnier Viger, professeur en médecine sociale et préventive à l’Université Laval, également directeur de santé publique du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie. Il déplore l’inaction de Québec, qui a depuis longtemps toutes les informations en main pour emboîter le pas au fédéral.
Je suis très, très déçu de la réaction provinciale : ce n’est pas normal, quand on sait que des seuils cancérigènes, il n’y en a pas.
« Les travailleurs de la construction sont parmi les gens les plus susceptibles d’avoir des cancers plus tard parce qu’ils ont été exposés à l’amiante, s’indigne celui qui milite pour une interdiction de l’amiante depuis des années. Comme on le sait très bien, je ne comprends pas l’idée de ne pas modifier rapidement le Code de la construction pour s’assurer que les gens qui ont à travailler dans les bâtiments qui en contiennent ne soient pas adéquatement protégés. Ça me dépasse. »
2/ Le BRESIL n'exporte pas que des footballeurs
Le pays produit 300 000 tonnes par an de la fibre hautement cancérogène, responsable selon l’Organisation mondiale de la santé, de 107 000 morts chaque année. LE MONDE | 31.08.2017 à 13h00 | Par Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante
Quelques minutes après le scrutin, le nom des quatre juges honnis circulait sur les réseaux sociaux avec pour légende : « Voici les juges de la Cour suprême en faveur du cancer et de la mort. » Jeudi 24 août, ces magistrats de la plus haute juridiction brésilienne venaient de se prononcer en faveur de la poursuite de l’utilisation de l’amiante au Brésil, empêchant que ce matériau responsable de cancers de la plèvre, d’asbestose – grave infection pulmonaire – et de certains cancers du poumon soit définitivement banni du Brésil.
« En tant que citoyenne on ne peut qu’être révoltée, après tous ces morts », enrage Fernanda Giannasi, cette ex-inspectrice du travail surnommée la « Erin Brockovich do Brasil » qui a consacré plus de trente ans de sa vie à faire entendre la cause des victimes de l’amiante.
Ce matériau dont les qualités de résistance et de souplesse sont exceptionnelles ferait, selon l’Organisation mondiale de la santé, 107 000 morts chaque année. Au Brésil, Francisco Pedra, chercheur à la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) à Rio de Janeiro, a recensé 3 700 décès entre 1980 et 2010. Un chiffre sans doute sous-estimé, dit-il. « L’amiante a été utilisée dans la construction de toits, de citernes d’eau, de cloisons… Elle est disséminée dans tout le Brésil. Les cancers peuvent mettre des dizaines d’années à se révéler. »
Producteur et exportateur du matériau, le Brésil ne possède plus qu’une seule mine d’amiante, dans l’Etat de Goias, exploitée par le groupe Eternit. « A quel point le pays en est-il arrivé ! Imaginez qu’une mine qui emploie 150 travailleurs justifie de tuer des centaines de milliers de personnes non seulement au Brésil, mais dans le monde entier. Le Brésil exporte la moitié des 300 000 tonnes produites ici par an. C’est une exportation de la mort ! », s’indigne le pneumologue Hermano de Castro, directeur de l’école nationale de santé publique de Fiocruz, interrogé par la revue Epoca le 23 août.
Interminable bataille
Dans le pays, une loi fédérale datant de 1995 autorise encore l’utilisation « contrôlée » de l’amiante blanche, la chrysotile. Mais certains Etats brésiliens, tels ceux de Sao Paulo ou de Rio de Janeiro, interdisent totalement le minerai. Acharnée, la Confédération des travailleurs de l’industrie (CNTI) lance depuis le début des années 2000 des procédures contre ces Etats, les estimant en contradiction avec la loi fédérale. Au dire des victimes, la CNTI représente en réalité les intérêts des professionnels de l’amiante. En particulier ceux d’Eternit, qui n’a pas souhaité s’exprimer.
Tentant de clore cette interminable bataille judiciaire, et consciente des éléments à charge contre l’amiante, la Cour suprême s’est enfin penchée sur la pertinence de la loi fédérale. La guerre semblait gagnée. « Le rapporteur du dossier a eu cet argument raisonnable de dire qu’au regard de la connaissance désormais irréfutable des cancers provoqués par l’amiante la loi de 1995 viole la Constitution brésilienne qui doit garantir au travailleur la santé et un environnement équilibré », explique Marc Hindry, vice-président du comité anti-amiante de l’université Jussieu à Paris, qui a suivi les débats.
Mais le Brésil est coutumier des coups de théâtre. « Deux juges ont repris des arguments obsolètes d’un pseudo-scientifique acheté par l’industrie », s’emporte Fernanda Giannasi. Au final la loi a été jugée inconstitutionnelle par cinq voix contre quatre. Il en fallait six pour que le texte soit révoqué. La décision plonge ainsi le pays dans un vague juridique inédit.
Après un moment d’écœurement, les militants anti-amiante ont toutefois repris espoir. La décision est, malgré tout, en leur faveur : l’industrie aura désormais tort devant les tribunaux, et le marché de l’amiante s’effondre. Après avoir été interdit dans plus d’une soixantaine de pays, et mis de côté par les industriels soucieux de leur réputation, tel le français Saint-Gobain autrefois présent au Brésil, le matériau a cessé de représenter un enjeu économique. « Il faudra encore du temps mais nous allons gagner. C’est le sens de l’histoire », assure Fernanda Giannasi.